lundi 3 septembre 2007

Le jour «J»

L'annonce

En me réveillant ce matin-là, café à la main et consultant comme à l'habitude mes courriels et messages sur Facebook, je reçois un message de Louis qui me demande si je suis fin prêt à prendre les commandes du cours offerts aux élèves débutants en percussion africaine. Je peine à avaler ma gorgée de café, subissant ainsi une décharge électrique qui me prouve à l'instant précis que le café est une invention purement psychologique qui n'a rien de comparable au rush d'adrénaline que je suis en train de ressentir.

Sans même prendre une seconde à réfléchir si je suis réellement prêt, je laisse mes mains pianoter au clavier et pire, sans même daigner jeter un oeil sur l'écran avant de diriger mon curseur sur "Envoyer", la réponse est déjà partie dans les méandres d'Internet où elle sera lue dans à peine quelques minutes par celui qui me pousse à tenter ma chance dans l'enseignement. «Bon!», me dis-je, « Je fais quoi maintenant? ». Bravo pour la compulsivité, vous aie-je dit que c'était un trait dominant de ma personnalité?

La préparation

Étrangement, j'ai la réaction totalement inverse de ce que je serais normalement supposé ressentir, à savoir un état de stress frôlant la panique. J'ai une confiance absolue en mes moyens, je suis en forme, et je sais déjà pas mal ce que je vais avoir à montrer au groupe ce soir. Dès lors, je vaque à mes occupations quotidiennes comme si de rien n'était, attendant avec calme, mais avec une certaine hâte, l'heure fatidique où je devrai me rendre à Samajam.

Ce moment arrivant enfin, j'arrive au local un peu plus tôt que d'habitude, afin de bien me préparer et monter les instruments. Ce soir, les gens délaisseront le djembé pour les dunduns, et je dois m'assurer que tout est prêt avant le début du cours. Sans trop m'en rendre compte, je rentre dans ma bulle, dans un focus d'une telle ampleur que je ne remarque même pas les gens qui arrivent un à un. Puis, l'heure "J" arrive enfin, je m'installe derrière le djembé dont j'ai si souvent réchauffé la peau avant que Catherine ne prenne le relais pour enseigner, et je plonge.

Plonger est en effet le bon terme, puisque je suis comme un poisson dans l'eau. Tout est naturel, normal, juste, équilibré...Je commence par m'assurer que tout le monde est prêt, puis je prends la parole et je dédie mon tout premier cours à ma prédécesseure, la belle Catherine Dacjzman, qui a tout récemment quitté l'école pour se concentrer sur sa carrière de comédienne. J'entame ensuite le cours avec un échauffement basé sur le rythme du djolé, où je m'amuse à faire suer les élèves en leur démontrant la difficulté de jouer sans référence de temps. Je me surprends moi-même à leur montrer cela, puisque je n'ai aucunement planifié le coup. Je sais seulement qu'ils sont en mesure de comprendre et de réussir, c'est l'essentiel.

La dernière pièce du casse-tête

Après avoir fait monter la cadence d'un cran, ce qui est assez facile à voir selon l'expression faciale des gens, je m'installe derrière un dununba monté sur son support pour expliquer l'art de jouer des dunduns. Le dos bien droit, le haut du corps relâché, le jeu du poignet qui fléchit pour laisser la main tenant la «noix» frapper la cloche, l'autre tenant le maillet pour venir frapper en plein centre la peau de vache. La prochaine heure passe en coup de vent, tellement je suis concentré à montrer chacun des trois accompagnements. Les élèves sont super bons, la matière rentre bien, tout baigne dans l'huile...

L'apothéose du cours survient lorsque les quinze dernières minutes s'écoulent au cadran. L'énergie est à son comble malgré la fatigue, et je veux absolument que les élèves, mes élèves en fait, goûtent enfin au plaisir de jouer un rythme africain au complet, avec les trois dunduns, les cloches et les shakers. Je distribue donc à chacun l'accompagnement qu'il devra effectuer. Nous commençons par le kenkeni, suivi du dununba, suivi du sanbang. Une fois que les duns ont parti la locomotive, on ajoute les djembés, soit les quatre accompagnements du yankadi. Les lumières tamisées, l'énergie de la musique, la puissance des notes des tambours, tout se met en place, tout se verrouille ensemble, et le groupe décolle pour atteindre un nouveau plateau, un niveau supérieur.

Est-ce une simple coïncidence ou bien étais-je prédestiné à cela, je ne sais pas trop. N'empêche que ce soir-là, j'ai finalement apposé la pièce du puzzle qui manquait à ces élèves pour savourer complètement ce qu'est un rythme africain complet. Et en entendant toute la beauté et la justesse du son et l'énergie dégagée par les claquements de peau, j'ai réalisé la chance que j'avais de pouvoir être là, en ce moment même, à savourer la musique, à savourer la vie.

Le fil et le déclic

Le jam dure environ 15 minutes, et lorsque les lumières s'ouvrent à nouveau, un déclic se fait dans ma tête. Je l'entends, mais je n'y prête pas attention, enfin, pas encore. Je suis encore sur une puissante vague d'adrénaline, mais je suis fier de ce que j'ai pu entraîner et provoquer comme accomplissement musical ce soir. Ça mérite bien une bonne bière que je vais savourer entre amis sur la terrasse.

Une heure et des poussières plus tard, c'est le moment de retourner à la maison, où la belle Karine m'offre de faire un bout de chemin avec elle le temps de trouver la station de métro la plus proche. De nouveau seul avec moi-même, je retrace le fil de la soirée. Mais aussitôt, sans trop que je ne sache pourquoi, le fil s'étend beaucoup plus loin que ça. Il serpente jusqu'à mes souvenirs les plus lointains où, pour la première fois, j'ai osé toucher à un instrument de musique. Puis, en remontant le fil, je réalise, enfin, la chance incroyable qui m'est offerte.

Je dois être beau à voir dans le métro, le sourire fendu jusqu'aux oreilles et les yeux pétillants. Je m'en contrefous comme jamais. Mieux vaut mille fois être dans un pareil état. Je remonte le fil, le film de mes souvenirs. Mes jams savoureux entre amis où j'ai appris à me faire confiance et à prendre ma place. Mes premiers cours de percussions à l'UdeM où je me suis vraiment initié aux trois sons de base de l'instrument. Je me rappelle encore du tout premier spectacle à la fin de la session où mes amis étaient venus me voir, suivi d'une super belle soirée au Dieu du Ciel. Puis, il y a eu cette fameuse apparition de Samajam à la télévision avec Grégory Charles, instant où je prenais note du nom de l'école. Deux semaines plus tard, j'y mettais les pieds enfin pour la première fois.

Comme j'avais été impressionné de me retrouver face à face avec la belle Mélissa Lavergne en chair et en os! De pouvoir jouer avec autant de gens en même temps! L'été complètement fou qui a suivi, où j'ai participé à des festivals, monté des spectacles avec le grand Luc Boivin, jammé entre amis, appris à mieux me connaître lors du grand atelier, pour enfin assister des dizaines et des dizaines de fois mon amie et prof Catherine Dacjzman. Ce fut un très grand honneur que de pouvoir réchauffer la peau de son djembé à chaque début de cours...

Et ce djembé, aujourd'hui, il est rendu mien. C'est maintenant à mon tour que de porter en mon coeur cette passion, ce trésor, ce privilège que de promouvoir et enseigner les rythmes de la culture africaine millénaire. Le déclic est fait, je reprends contact avec la réalité et, la gorge nouée par l'émotion, je me retrouve chez moi, dans mon sous-sol, à lire ce message laissé sur le babillard virtuel de l'école:

À tous ceux qui n'était pas au cours jeudi.Vous avez vraiment manqué quelque chose.Nous avons trippé douns et shakers,c'était super cool!!!
Merci Martin !!!Tu vas faire un excellent prof.

À ce moment précis, j'ai fini par remonter le fil, qui est attaché à une ampoule irradiant une lumière des plus puissantes et incandescantes. Je sais enfin que je réalise un de mes rêves. 

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