mardi 5 juin 2007

L'homme qui parle avec le djembé

J'ai vécu une rencontre tout à fait magique hier. Ce n'est pas tous les jours qu'on a la chance de suivre les enseignements d'un grand maître. Et entouré d'aussi bons percussionnistes en plus. Toute la crème de la percussion était présente hier après-midi quand je suis arrivé à l'école. Luc Boivin, Mélissa Lavergne, Hans Longpré, Robert Lépine et même Paul Picard, ex-percussionniste de Céline Dion, étaient présents, c'est tout vous dire. L'instant d'un après-midi, tous étaient devenus élèves, prêts à recevoir les enseignements du plus grand maître djembéfola au monde, Mamady Keïta.

Rencontrer Mamady Keïta, c'est un peu comme se retrouver en face de monuments de la musique rock tel Elvis ou Paul McCartney. Son influence dans l'expansion et la diffusion de la richesse de la musique africaine est sans contredit indiscutable et indélébile. Il est l'ambassadeur de toute une culture, de tout un continent, et il porte cette mission en lui comme un véritable trésor, qu'il partage tout bonnement avec les gens qu'il rencontre. Après donc d'interminables minutes à attendre à l'extérieur de la salle avec mes amis à jouer et à faire monter la fébrilité dans l'air, les portes de la grande salle s'ouvrent, et nous nous installons enfin pour que les quatre prochaines heures soient inoubliables.

Mamady est assis derrière son djembé, instrument absolument magnifique, et nous attend avec un grand sourire, qui ne quittera jamais son visage d'ailleurs. Mélissa, Kattam (un percussionniste qui revient tout juste d'un stage à l'école de Mamady en Guinée) et l'assistante de Mamady sont installés au duns, prêts à tenir le rythme. M. Keïta ensuite prend la parole, de sa voix rauque aux accents guinéens, avec un français impeccable, et aussitôt les voix se taisent, chacun buvant ses paroles. Ce qui frappe chez l'homme, c'est l'intensité de son regard, rempli d'un tel respect et d'un tel amour pour le mandat qu'il s'est donné: faire connaître sa culture à travers le symbole du djembé.

Les quatres heures ont tellement passé trop vite. Et j'étais doublement heureux de savoir qu'en plus d'avoir devant moi Mamady Keïta en chair et en os, nous allions enfin apprendre le tiriba comme rythme! Claudine, la prof du cours de danse, n'arrête pas de le quémander mais faute de temps et de pratique, nous ne sommes pas encore prêts à le livrer à sa juste hauteur. Le tiriba est un rythme ternaire qui se joue donc en triolets. Une dynamique rythmique tout à fait unique et que j'affectionne particulièrement, malgré que le rythme représente un méchant défi. Mamady nous explique donc que ce rythme remonte à très longtemps. Le tiriba était le nom donné à un danseur qui créait une troupe et en était le chef. Le rythme sur lequel il dansait avec sa troupe a donc été baptisé selon le même nom que celui du chef.

Mamady possède un don pour l'enseignement. Il est celui qui a pris le temps de mettre sur papier, structurer et baliser les inombrables rythmes africains avec la notion de temps et de mesure. Il a compris que les Occidentaux ne sont pas aptes à apprendre via la tradition orale, il faut donc leur enseigner avec le solfège. Ça, Mamady l'illustre parfaitement en comptant la mesure avec son pied équipé de ses grelots. Son enseignement est réglé au quart de tour, il effectue cela sans effort. Divisé en deux parties, il commence d'abord par nous enseigner la tradition. Et pour Mamady, pas question d'enseigner un rythme comme ça dans le vide sans expliquer d'où il vient!

«Mes amis, vous êtes les ambassadeurs du djembé. Et en tant qu'ambassadeur, vous devez préserver la tradition, en expliquant l'histoire derrière le rythme. C'est primordial afin que les générations futures transmettent la richesse de l'histoire de mon pays à leurs contemporains.» Et je peux vous dire que le message a passé. Jamais plus je ne vais apprendre un rythme sans savoir quelle est son histoire, sa création. Et parlant de cela, Mamady fait écarquiller bien des yeux d'étonnement en mentionnant que ce sont les femmes qui sont les véritables créatrices du rythme. Elles chantent et dansent en tapant des mains, puis elles transmettent les rythmes ainsi créés aux hommes qui eux, les jouent sur les instruments qu'ils confectionnent. Fascinant.

Après une bonne heure à reviser les trois accompagnements du tiriba et les duns, Mamady annonce «qu'il est temps de foutre le bordel là-dedans.» Simple et direct. On prend le rythme traditionnel pour lui ajouter des tours de passe-passe avec des cassés et des appels. Et c'est là que je peux savourer tout le talent chez Mamady. La vitesse. La clarté des sons, purs comme du cristal. L'expression du visage, où est imprimée une passion, une sincérité, un respect, un savant mélange que Mamady Keïta a sans doute toujours pris soin de montrer, et qui ne le lâchera jamais plus. C'est sa marque: son djembé est comme une personne qu'il chérit de tout son coeur.

Le deuxième rythme que Mamady nous a montré est l'abondan. C'est un rythme de la Côte-d'Ivoire que Mamady a appris lors de son voyage là-bas dans les années 80. C'est un rythme qui est joué en l'honneur du roi, où les jeunes du village dansent pour lui rendre hommage. Encore là, Mamady est impeccable dans son enseignement, juste, précis, strict. Son oreille est terriblement fine, et il peut, en plein lorsque 40 personnes jouent simultanément, déceler la moindre faille dans le jeu. Un autre secret du grand maître.

À la fin de la journée, bien humblement, j'ai été remercier Mamady et lui ai donné une poignée de main. C'est à ce moment que j'ai senti, au contact de cette main qui s'est forgée au son du tambour, l'amour et la passion d'un homme pour son instrument. Et aujourd'hui, je peux le clamer haut et fort, jamais je ne laisserai le tambour sortir de ma vie.

En guise de mot de la fin, qui sera aussi celui de ce billet, Mamady a dit la chose suivante:

Lorsque je vous vois jouer du djembé, je ne vois pas la couleur de votre peau. Que vous soyez blanc, noir, brun, jaune, bleu, vert, cela n'a aucune importance. Car à cet instant précis, vous êtes de la même nationalité, et vous parlez la même langue: la paix. J'espère un jour que les politiciens de cette planète auront la chance de jouer du djembé. Et ce jour-là, la guerre n'existera plus jamais.

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